Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
Brûler ses brassières (et lire des livres) (publiée le 20 février 2017)
Le vocable «féministes» évoquera pour plusieurs «des femmes - au look hippie lesbiennes et misandres - autour d’un feu brulant leurs brassières». De cette représentation hautement stéréotypée, le féminisme a mauvaise presse. Du moins, il est mal compris et peu en vogue. Dû à la technologie, les livres se meurent. Du moins, ils sont davantage lus en ligne, qu’en librairie. Ouvrir une librairie féministe, aujourd’hui, semble un acte suicidaire, certes, nécessaire. D’où la pertinence de souligner l’audace de l’Euguélionne, une libraire féministe ayant ouvert ses portes le 15 décembre dernier au 1426 rue Beaudry. 

Commençons par une brève leçon (non exhaustive) de féminisme 101, question de redorer le blason de cette doctrine peu à la mode en 2017. Par le passé, au cours d’entrevues diverses, j’ai eu l’occasion de constater que le féminisme souffre d’une incompréhension (généralisée). Beaucoup de jeunes femmes semblent peu familières avec la prémisse du féminisme qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les sphères sociales. J’ai souvent entendu des phrases du genre: « Si le féminisme c’est l’égalité homme-femme, alors oui je suis féministe ». C’est le genre de phrase qui me permet de souligner à quel point le mythe de la femme (lesbienne) frustrée autour du feu en brulant sa brassière, est ancré… Comme si le fait de prôner l’égalité pour la femme dans un monde patriarcal, devenait synonyme de haine envers les hommes. C’est ce type d’idée reçue qui fait mauvaise presse au féminisme. Comme celle de bruler des brassières… Du coup, parlons brassières!
 
Bien qu’un premier prototype de soutien-gorge soit breveté en 1859 à New York par Henry S. Lesher, les archéologues ont retrouvé des sous-vêtements similaires aux soutien-gorges modernes, datant de la fin du XIVe siècle. Et quant aux Romaines, elles portaient le strophium… Il n’en demeure pas moins qu’à l’époque contemporaine le soutien-gorge succéda au corset, qui de toute évidence a peu à voir avec le maintien de la poitrine, mais plutôt avec sa castration - lire suffocation - (et sa mise en valeur en tant qu’objet). Pas besoin d’être féministe pour le constater! C’est bien beau vite de même, porté par Marie-Antoinette, mais personne n’aurait voulu être à sa place (et pas uniquement pour le port du corset).
 
Mon point est que le soutien-gorge, comme son nom l’indique (soutien-seins aurait été plus visuel, mais on lui a préféré l’euphémisme gorge…) vise d’abord à offrir un soutien adéquat aux seins. Aujourd’hui, lorsqu’on regarde les « anges » de Victoria’s Secret défiler sur le catwalk on constate rapidement que le but premier n’est pas d’offrir un soutien « physique » aux seins, mais plutôt une plateforme pour les monter, les présenter comme un objet de séduction. C’est notamment pour militer contre cette idée d’objectification sexuelle de la femme que les féministes s’insurgeaient face aux soutien-gorges lors de la révolution sexuelle des années 70. Ne pas porter de soutien-gorge devenait ainsi un choix individuel, synonyme de libération vis-à-vis de l’oppression sociale (repensez au corset et faites le calcul).
 
Néanmoins, le fait de bruler des brassières sur la place publique demeure un mythe prenant naissance en 1968, alors que des centaines de femmes animées par le groupe de féministes radicales New York Radical Women se réunissent à Atlantic City afin de protester contre le concours Miss America; munies de leur « Freedom Trash Can », elles désirent en faire brûler le contenu (casseroles, vaisselle, faux-cils, talons-hauts, perruques et… soutien-gorges). Or, les services d’incendies empêchent les femmes d’allumer le feu (elles n’ont d’ailleurs pas de permis). L’Histoire transformera l’événement afin de notamment démontrer l’excès du féminisme, alors que lesdites brassières - comme les autres objets - ne furent jamais brûlées! L’Histoire nous a tous bien dupé(e)s sur ce coup-là! (D’ailleurs, merci à mon collègue Denis-Daniel de m’avoir ouvert les yeux sur le mythe en question!).
 
J’ai fait mes études secondaires dans une école catholique de filles dirigées par des soeurs, où le port du costume (lire la jupe et non le pantalon) était obligatoire. Lors de l’après-bal de graduation - avec ma belle naiveté et un coup dans le nez- j’ai brûlé ma jupe, «pour me libérer de l’oppression de ce costume contraignant» (pensait la petite Montréalaise de 17 ans qui voulait changer le monde). Or, aujourd’hui, je sais très bien que le féminisme (militant) c’est davantage que brûler une jupe (ou des brassières). Revendiquer l’égalité c’est avoir (et faire) le choix de porter une jupe ou un pantalon, et ce, autant pour les hommes que pour les femmes. Au final, c’est super branché le féminisme comme sujet; ça devrait être à la mode, non?
 
Non. Ce n’est pas très tendance. Avec un sujet aussi peu en vogue, ouvrir une librairie comme L’Euguélionne, traitant du féminisme semble un double suicide (OK, un double pari risqué). Qui s’intéresse au féminisme ET à la lecture d’un livre? À l’heure où les publications papier triment pour survivre à la concurrence (quasi-déloyale) du web, à l’heure où l’on remplace les manuels scolaires par des ordinateurs en classe, à l’heure où les eBooks sur Kindle sont plus populaires que les livres gratuits des bibliothèques municipales. Bref, à l’ère où les gens expriment leur pensée en 140 caractères sur Twitter, la question qui tue: Qui veut s’acheter un livre sur le féminisme et le lire?
 
La lesbienne, probablement. Je me rétracte: certaines lesbiennes, probablement. La lesbienne féministe - assez instruite pour lire un sujet pointu et assez nanti pour se payer un livre - qui ne se reconnait pas dans cette société patriarcale capita-liste. Bien sûr, pour répondre au sujet lesbien de cette chronique, je ghettoïse ici, car une libraire féministe telle que l’Euguélionne a d’autres publics cibles, à commencer par les femmes hétérosexuelles (car encore faudra-t-il le répéter, les féministes ne sont pas  nécessairement lesbiennes et vice versa) et finalement, le public cible minoritaire (cette fois) les hommes féministes (oui, oui, car rappelons que le féminisme est l’égalité homme-femme, alors il est normal de retrouver des adeptes du féminisme chez la gent masculine.
 
D’ailleurs, si on y réfléchit, ce qui est anormal est de ne pas retrouver l’ensemble de la gent masculine comme fervents protecteurs du féminisme. Me semble que « Moi, si j’étais un homme » qui vivait avec une femme - comme la majorité de la population - je voudrais que ma femme soit l’égale de moi-même! (Chimère, je ne suis pas un homme…)
 
Ainsi, l’audacieuse et nécessaire initiative qu’est l’Euguélionne met de l’avant un sujet spécialisé (peu en vogue et mal compris) dans un format (en voie d’extinction). Cela dit, on gagne tous à pénétrer dans ces enceintes du savoir pour y lire un livre! La libraire propose une vaste collection de livres féministes, queer, LGBT en tous genres et des publications rares dénichées par des libraires spécialisé(e)s qui offrent leurs conseils, en plus d’ateliers d’introduction à la littérature des femmes et aux féminismes.
 
Finalement, l’Euguélionne propose un élément fondamental - qui ne se retrouve pas sur Kindle ou Twitter - un espace physique, voire un café convivial où il fera bon bouquiner. Du 3 au 10 février l’Euguélionne vous invite à son grand festival d’ouverture afin de découvrir les trésors du féminisme.

 
Par Julie Vaillancourt
Sur: www.fugues.com